Philosophie

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Religion et politique : documents en complément à l’intervention de Laurent Gerbier

Par • 25 nov, 2010 • Catégorie: Actualité, Plan Académique de Formation, Textes des conférences

Religion et Politique

Module de Formation Rectoral

Mardi 23 novembre 2010

Laurent Gerbier

Matinée : Religion et politique dans le christianisme ancien et médiéval

(textes 1 à 7 et 10)

Après-midi : Régulation politique des questions religieuses, XVIe-XVIIe siècles

(textes 5 à 9)

Moïse reçoit les tables de la Loi (Exode, 34). Bible historiale de Petrus Comestor (1372).

© Meermanno Koninklijke Bibliothek, La Haye.

1 Ancien Testament

1

<2> [Le Seigneur] dit « Dressez l’état de toute la communauté des fils d’Israël par clans et par familles, en relevant le nom de tous les hommes, un par un. <3> Les hommes de vingt ans et plus, tous ceux qui servent dans l’armée d’Israël, recensez-les par armées, toi et Aaron. <4> Qu’il y ait avec vous un homme de chaque tribu, un homme qui soit chef de famille. […] <18> Ils rassemblèrent toute la communauté, le premier jour du deuxième mois, et les fils d’Israël établirent leurs généalogies par clans et par familles en relevant les noms des hommes de vingt ans et plus, un par un. <19> Comme le Seigneur le lui avait ordonné, Moïse les recensa dans le désert du Sinaï. […] <45> Tous les fils d’Israël recensés par familles, ceux de vingt ans et plus qui servaient dans l’armée d’Israël, <46> donnaient un effectif total de 603.550. <47> Les lévites en tant que tribu patriarcale, ne participèrent pas au recensement. <48> Le Seigneur parla à Moïse : <49> « il n’y a que la tribu de Lévi dont tu ne feras pas le recensement et dont tu ne dresseras pas l’état parmi les fils d’Israël. <50> Tu chargeras les lévites de la demeure de la charte, de tous les accessoires et de tout son matériel. Ils la porteront avec tous ses accessoires, ils en assureront le service et ils camperont tout autour. […] »

Premier recensement (Nombres, 1-2, p. 198-2001)1

4

<1> Et maintenant, Israël, écoute les lois et les coutumes que je vous apprends moi-même à mettre en pratique ; ainsi vous vivrez et vous entrerez prendre possession du pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères. <2> Vous n’ajouterez rien aux paroles des commandements que je vous donne, et vous n’y enlèverez rien, afin de garder les commandements du Seigneur votre Dieu que je vous donne. […] <6> Vous les garderez, vous les mettrez en pratique : c’est ce qui vous rendra sages et intelligents aux yeux des peuples qui entendront toutes ces lois ; ils diront : « Cette grande nation ne peut être qu’un peuple sage et intelligent ! » <7> En effet, quelle grande nation a des dieux qui s’approchent d’elle comme le Seigneur notre Dieu le fait chaque fois que nous l’appelons ? <8> Et quelle grande nation a des lois et des coutumes aussi justes que toute cette Loi que je mets devant vous aujourd’hui ? <9> Mais prends garde à toi, garde-toi bien d’oublier les choses que tu as vues de tes yeux ; durant toute ta vie, qu’elles ne sortent pas de ton cœur. Tu les feras connaître à tes fils et à tes petits-fils.

Discours de Moïse (Deutéronome, 4, p. 271)

2 Actes des Apôtres2

<6> Les Apôtres et les anciens s’assemblèrent pour examiner cette affaire [sc. la nécessité ou non de circoncire les nouveaux baptisés non-juifs]. <7> Une grande discussion étant survenue, Pierre se leva et dit : « Frères, vous le savez : dès les premiers jours, Dieu a fait son choix parmi vous, pour que, par ma bouche, ceux des nations entendent la parole de l’Évangile et embrassent la foi. <8> Et Dieu, qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage en leur donnant l’Esprit, l’[Esprit] Saint, tout comme à nous. <9> Et il n’a fait aucune distinction entre eux et nous, puisqu’il a purifié leur cœur par la foi. <10> Maintenant donc, pourquoi mettez-vous Dieu à l’épreuve en imposant au cou des disciples un joug que ni nos pères, ni nous, n’avons eu la force de porter ? <11> Aussi bien, c’est par la grâce du Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés, de la même manière qu’eux. »

Discours de Pierre, Actes des Apôtres, 15, 6-11, op. cit., p. 289-290.

<19> « C’est pourquoi je suis d’avis, moi, qu’il ne faut pas inquiéter ceux des nations qui se tournent vers Dieu. <20> Qu’on leur écrive simplement de s’abstenir des souillures des idoles, et de la fornication, et de chair étouffée, et du sang. <21> Car, depuis les générations anciennes, Moïse a dans chaque ville des hérauts qui le proclament, puisqu’on le lit dans les synagogues chaque sabbat. »

Discours de Jacques, Actes des Apôtres, 15, 19-21, op. cit., p. 290.

3 Épîtres de Paul

Qu’est-ce donc que la Loi ? C’est en vue des transgressions qu’elle a été ajoutée, jusqu’à ce que vînt la descendance à laquelle était destinée la Promesse. Elle a été édictée par le ministère des anges, au moyen d’un médiateur. […] Avant que vînt la Foi, nous étions enfermés sous la garde de la Loi, en vue de la Foi qui devait être révélée. De sorte que la Loi est devenue notre pédagogue jusqu’au Christ, pour que nous fussions justifiés par la Foi. Mais, la Foi venue, nous ne sommes plus sous un pédagogue. Car, tous, vous êtes fils de Dieu par le moyen de la foi en Christ Jésus ; vous tous, en effet, qui avez été baptisés en Christ, c’est Christ que vous avez revêtu. Il n’y a pas de Juif ni de Grec, il n’y a pas d’esclave ni d’homme libre, il n’y a pas d’homme et de femme : car tous, vous êtes un en Christ Jésus.

Saint Paul, Epître aux Galates, 3.19-3.28, op. cit., p. 396.

Que toute personne soit soumise aux pouvoirs établis, car il n’est de pouvoir que de Dieu, et ceux qui existent sont institués par Dieu. Ainsi celui qui s’oppose au pouvoir résiste à l’ordre voulu par Dieu, et ceux qui résistent s’attireront la condamnation. Les magistrats en effet ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas craindre le pouvoir, fais le bien, et tu en auras des louanges ; car il est pour toi le serviteur de Dieu en vue du bien. Mais si tu fais le mal, crains, car ce n’est pas en vain qu’il porte le glaive ; il est en effet le ministre de Dieu pour exercer sa colère contre qui commet le mal. C’est pourquoi il est nécessaire de se soumettre, non seulement à cause de la colère, mais aussi à cause de la conscience. Et voilà aussi pourquoi vous payez des impôts ; car les magistrats sont des servants de Dieu assidus à leur office. Rendez à tous ce qui leur est dû : à qui l’impôt, l’impôt ; à qui les taxes, les taxes ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l’honneur, l’honneur.

Saint Paul, Epître aux Romains, 13.1-13.7, op. cit., p. 339.

4 Augustin, La Cité de Dieu

Que la famille rachetée du Christ notre Seigneur, la cité, temporairement domiciliée ici-bas, du roi Christ […] ne perde surtout pas de vue que parmi ses adversaires se cachent de futurs concitoyens ; qu’elle n’aille point penser qu’il est sans profit, même pour eux, de les supporter ennemis en attendant de les accueillir convertis. De même, aussi longtemps qu’elle chemine en ce monde, la cité de Dieu inclut-elle au nombre des siens des gens qui prennent part avec elle à ses mystères, et n’auront point part avec elle à la destinée des saints. Les uns, c’est en secret ; les autres, c’est ouvertement, et, tout comme nos adversaires, ils ne se gênent pas pour murmurer contre le dieu dont ils portent le signe, tantôt remplissant les théâtres avec eux, et tantôt les églises avec nous. De leur amendement, pourtant, on doit d’autant moins désespérer que parmi nos ennemis les plus déclarés se cachent des gens destinés à devenir des amis, ignorés de nous comme d’eux-mêmes. En ce monde, elles avancent ensemble, les deux cités, enchevêtrées l’une dans l’autre jusqu’à ce que le Jugement dernier survienne et les sépare. Il me faut traiter maintenant de leurs origines, de leurs destinées, et de leurs fins respectives, dans la mesure où Dieu voudra bien m’y aider : ce sera tout à la gloire de la cité de Dieu, qui ressortira d’autant plus nettement de la comparaison.

La Cité de Dieu, I, 35, tr. L. Jerphagnon, Paris, Gallimard, Pléiade (Œuvres, II), 2000, p. 46.

C’est pourquoi, sans la justice, que sont les royaumes, sinon des bandes de brigands ? Et les bandes de brigands, que sont-elles sinon de petits royaumes ? N’est-ce pas une troupe d’hommes, commandée par un chef, soudée par un pacte social, partageant le butin selon une loi voulue par elle ? Si ce fléau grossit par l’afflux d’hommes perdus, au point d’occuper un pays, d’établir des postes, de prendre des villes, de subjuguer des peuples, il s’arroge plus ouvertement le nom d’« empire », titre que lui confère déjà au vu et au su de tous non pas le renoncement à la cupidité, mais l’obtention de l’impunité.

La Cité de Dieu, IV, iv, op. cit., p. 138.

Quand à ceux qui, armés d’une vraie piété, ont la science du gouvernement des peuples (scientiam regendi populos), rien n’est plus heureux pour l’humanité si la miséricorde de Dieu leur confie le pouvoir. Mais de tels hommes, si grandes que soient les vertus qu’ils peuvent avoir dans cette vie, ne les attribuent qu’à la volonté de Dieu qui les a accordées à leurs désirs, à leur foi et à leurs prières ; en même temps, ils comprennent combien ils sont loin de la perfection de la justice, telle qu’elle se trouve dans la société des saints anges (illorum sanctorum angelorum societate), à laquelle ils s’efforcent de devenir aptes.

La Cité de Dieu, V, 19, op. cit., p. 207-209.

5 Jonas d’Orléans, L’institution du roi

Tous les fidèles doivent savoir que l’Église universelle est le corps du Christ, que sa tête est le Christ lui-même, et qu’en elle existent deux personnes principalement remarquables, à savoir la personne du prêtre et celle du roi. Celle du prêtre est d’autant plus éminente que, pour les rois eux-mêmes, elle aura à répondre devant Dieu. D’où les propos de Gélase, pontife vénérable de l’Église de Rome, écrivant à l’empereur Anastase : « Il y a, dit-il, deux impératrices augustes par lesquelles le monde est principalement dirigé : l’autorité sacrée des pontifes et le pouvoir royal. Mais la charge des pontifes est d’autant plus lourde qu’ils auront aussi des comptes à rendre pour les rois des hommes eux-mêmes au jugement divin. » Fulgence également, dans son livre De la vérité de la prédestination et de la grâce, écrit ainsi : « Pour tout ce qui concerne la vie temporelle, nul dans l’Église n’est supérieur au pontife, et nul dans le siècle n’est supérieur à l’empereur chrétien. »

Ainsi donc, puisque le ministère sacerdotal détient une telle autorité, et même un tel poids de décision que pour les rois eux-mêmes ils auront à répondre à Dieu, il convient, que dis-je, il est nécessaire que nous soyons toujours préoccupés de votre salut, et que nos admonitions vigilantes vous empêchent d’errer – Dieu vous en préserve – loin de sa volonté, ou loin du ministère qu’il vous a confié. Et si, Dieu vous en préserve, vous dériviez de celui-ci d’une manière ou d’une autre, alors, par la voie de l’humble admonition épiscopale et par une intervention salutaire, nous prendrions les mesures nécessaires à votre salut, afin qu’une inaction silencieuse ne nous fasse pas condamner, mais plutôt que l’extrême diligence de nos soins et de notre admonition salutaire nous fassent mériter la récompense du Christ.

Jonas d’Orléans, L’institution du roi (De institutione regia, ca. 840), chap. I,tr. A. Dubreucq, Paris, Cerf, « Sources Chrétiennes », 1995, p. 177-179.

6 Boniface VIII, Bulle Unam Sanctam

La foi nous oblige fermement à croire et à maintenir que l’Église est une, sainte, catholique et apostolique, et nous le croyons fermement, et le confessons avec simplicité, de même qu’il n’y a ni salut ni rémission des péchés en dehors d’elle. […] Nous vénérons cette Église comme une, puisque le Seigneur a dit par la bouche du prophète : « Ô mon Dieu, délivre mon âme de l’épée et mon unique de la main du chien »3. Il a prié pour son âme, c’est-à-dire pour lui-même, pour sa tête et son corps en même temps ; et ce corps, c’est-à-dire l’Église, il le nomme « <mon> unique » […]. C’est là la tunique sans couture du Seigneur, qui ne fut pas déchirée mais attribuée par le sort. Ainsi donc cette Église une et unique n’a qu’un corps et qu’une tête, et non pas deux têtes comme les monstres ; et cette tête est le Christ, ainsi que le vicaire du Christ, Pierre, avec son successeur, puisque le Seigneur a dit à ce même Pierre : « Fais paître mes brebis ». Il dit bien « mes <brebis> » en général, et non en particulier celles-ci ou celles-là : par où nous comprenons qu’il les lui a toutes confiées. Donc, si les Grecs ou d’autres disent qu’ils n’ont pas été confiés à la garde de Pierre et de ses successeurs, il faut nécessairement qu’ils ne soient pas du troupeau du Christ, le Seigneur ayant dit dans <l’Évangile de> Jean : « <qu’il n’y ait> qu’un troupeau et un unique pasteur »4.

Et il y a deux glaives au pouvoir de cette Église, c’est-à-dire le <glaive> spirituel et le <glaive> temporel, comme nous en instruit l’Évangile. Car lorsque l’Apôtre dit : « Voici deux glaives »5 (c’est-à-dire, dans l’Église), le Seigneur ne répondit point que c’était trop, mais que c’était assez. Ainsi certainement celui qui nie que le glaive temporel soit au pouvoir de Pierre, celui-là a mal écouté les paroles du Seigneur lorsqu’il a dit « Remet ton glaive au fourreau »6. Les deux sont donc au pouvoir de l’Église, c’est-à-dire le glaive spirituel et le <glaive> matériel. Mais l’un doit être manié par l’Église, et l’autre pour l’Église ; le premier par le prêtre, le second par les mains des rois et des guerriers, mais conformément aux ordres et à la patience du prêtre.

Il convient toutefois que le glaive soit soumis au glaive, et que l’autorité temporelle soit soumise au pouvoir spirituel. Car lorsque l’Apôtre dit « Il n’est de puissance que de Dieu ; celles qui existent, ils les a ordonnées »7, elles ne peuvent être ordonnées que si le glaive est soumis au glaive. […]

Donc, si le pouvoir terrestre s’égare, il sera jugé par le pouvoir spirituel ; mais, si un pouvoir spirituel inférieur s’égare, <il sera jugé> par son supérieur ; et si le <pouvoir> vraiment suprême <s’égare>, <il sera jugé> par Dieu seul, et nul homme ne pourra le juger, d’après le témoignage de l’Apôtre : « l’homme spirituel est juge de tous, mais il n’est lui-même jugé par aucun »8. En effet cette autorité, bien que donnée à l’homme et exercée par l’homme, n’est pas un pouvoir humain, mais bien plutôt un pouvoir divin, accordé à Pierre par une parole divine […]. Quiconque résiste donc à ce pouvoir ainsi ordonné par Dieu, résiste aux ordres de Dieu […]. Ainsi donc nous déclarons, affirmons et déterminons qu’il est absolument nécessaire au salut que toute créature humaine soit soumise au Pontife Romain.

Boniface VIII, Bulle Unam Sanctam, 1302.

7 Dante, De la monarchie

x. Quiconque choisit d’exécuter une ordonnance (edictum), convainc par son œuvre de la justice de celle-ci, et puisque les œuvres persuadent mieux que les discours, il persuade plus que s’il l’approuvait en paroles. Or le Christ, comme en témoigne son scribe Luc, voulut naître de la Vierge Mère sous l’ordonnance de l’autorité romaine, pour être recensé parmi les hommes : ce fut là exécuter l’ordonnance. Et il est peut-être plus saint de penser que cela s’est produit, par l’entremise de César, par un effet de la volonté divine, pour que celui qui si longtemps avait été attendu dans la société des mortels (societas mortalium) se consigne lui-même parmi les mortels. Donc le Christ fit admettre par son œuvre que l’ordonnance d’Auguste, investi de l’autorité romaine, serait juste. […]

xi. Et si l’Empire romain ne fut pas de droit, le péché d’Adam ne fut pas puni dans le Christ : or cela est faux ; donc la contradictoire de ce dont cette proposition découle est vraie. […] Si la mort du Christ n’avait pas acquitté ce péché, encore maintenant nous serions par nature les fils de la colère, c’est-à-dire par notre nature corrompue. […] Si donc le Christ n’avait pas souffert sous un juge ordinaire, cette peine n’aurait pas été une punition. Et le juge ordinaire ne pouvait être que celui qui possédait juridiction sur tout le genre humain, puisque tout le genre humain devait être puni dans la chair du Christ « porteur de nos douleurs » comme dit le Prophète9.

Dante, La monarchie (De Monarchia, ca. 1314), II, x-xi, tr. Fr. M. Gally, Paris, Belin, 1993, p. 175-177.

8 Witenbogaert et Grotius

Ne doutez pas que votre autorité ne vienne de Dieu qui vous a établis comme des dieux sur votre peuple. Surveillez bien l’enseignement donné à vos sujets. Ne souffrez dans la chaire aucune vaine dispute ; ne permettez pas que des heures précieuses soient perdues en leçons inutiles pour la vie chrétienne. Ne souffrez pas que vos sujets soient troublés, divisés, déchirés par des hommes avides de discordes. Mais l’autorité devra-t-elle veiller à tout cela ? Oui, c’est votre fonction. Vous pouvez le faire de plein droit, vous le pouvez par la grâce de Dieu. Il vous appartient de faire des lois pour vos sujets ; veillez à ce qu’elles ne soient pas faites par d’autres.

Johannes Witenbogaert, Traité de la fonction et de l’autorité du haut magistrat chrétien sur les affaires ecclésiastiques, La Haye, 1610 (cité par J. Lecler, Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, Paris, Aubier, 1955, rééd. Albin Michel, « BEH », 1994, p. 655).

[…] rien ne met le pouvoir souverain dans un plus grand jour que de voir dépendre de lui l’exercice public de la Religion. Les <plus grands écrivains> politiques placent ce droit à la tête de ceux du souverain, et l’expérience le confirme. Pourquoi, sous le règne de Marie <Tudor>, la Religion Romaine eut-elle le dessus ? Pourquoi, sous celui d’Elisabeth, l’Anglicane prévalut-elle ? Nulle autre raison visible que la volonté des Reines, ou plutôt celle des Reines et du Parlement. La volonté des Souverains détermine les Religions qui dominent en Espagne, au Danemark et en Suède.

Hugo Grotius, Traité du pouvoir du magistrat politique sur les choses sacrées, VIII, 2 (De imperio Summarum Potestatum circa sacra, 1617-1619), tr. fr. Lescalopier, Londres, 1751, repr. Caen, Presses de l’Université de Caen, « Bibliothèque de philosophie politique et juridique », 1991, p. 243-244.

L’Eglise aurait-elle une puissance législatrice ? Les principes précédents décident la question. La Loi divine ne la lui attribue point, c’est l’apanage des Princes ; il n’appartient pas aux Prêtres de faire des Lois. Avant les Empereurs Chrétiens, les Décrets de l’Église sur la discipline et les cérémonies ne s’appellent pas Lois, mais Canons : ils sont Conseils dans ce qui concerne plutôt chaque particulier que l’universalité ; et s’ils obligent, cette obligation naît de la Loi naturelle, non d’aucune Loi positive ; de sorte qu’on n’est contraint ni à vouloir, ni à ne vouloir pas. A Dieu ne plaise qu’on refuse à l’Église, aux Pasteurs, aux Prêtres, aux Conciles toute Législation. Si le Magistrat politique, comme l’expérience l’apprend, en accorde aux tribunaux et aux assemblées, dont l’utilité n’est pas comparable à celle de l’Église, pourquoi l’Église n’aurait-elle pas ces avantages, puisque le droit divin n’y répugne pas ? J’observe cependant deux choses. Premièrement, la Législation que le Souverain communique ne diminue rien de son droit ; il la donne comme par accroissement, et non privativement : il se défera bien en faveur d’un autre, du droit de promulguer des Lois ; mais il ne pourra s’en dépouiller. Deuxièmement, il a le pouvoir de corriger ou de casser les règlements d’une Cour s’il est nécessaire, d’autant que l’État ne souffre point deux Puissances suprêmes, et que l’inférieure doit obéir à la supérieure.

Hugo Grotius, Traité du pouvoir du magistrat politique sur les choses sacrées, VIII, 10-11, op. cit., p. 256-258.

9 Hobbes, Léviathan

Aux juges succédèrent les rois. Et de même qu’auparavant toute autorité tant religieuse que politique résidait dans le grand-prêtre, elle résida désormais toute entière dans le roi. Car la souveraineté sur le peuple, laquelle résidait auparavant (non seulement en vertu de la puissance divine, mais aussi du fait d’un pacte particulier conclu par les Israélites) en Dieu et, premier après lui, dans le grand-prêtre comme en son vicaire sur la terre, fut rejetée par le peuple avec le consentement de Dieu lui-même. En effet, quand ils dirent à Samuel : « fais-nous un roi pour qu’il nous juge, à la manière de toutes les nations » (I Samuel, 8, 5), ils signifièrent qu’ils ne voulaient plus être gouvernés par des commandements qui leur seraient imposés par le prêtre au nom de Dieu, mais par quelqu’un qui les commanderait de la même façon que toutes les autres nations l’étaient ; et par conséquent, en déposant le grand-prêtre de l’autorité royale, ils déposèrent ce gouvernement particulier de Dieu. Dieu y consentit pourtant, disant à Samuel : « écoute la voix du peuple, dans tout ce qu’ils te diront ; car ce n’est pas toi qu’ils ont rejeté, mais moi, afin que je ne règne plus sur eux » (I Samuel, 8, 7).

Hobbes, Léviathan (1651), chap. lx, tr. fr. F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 502-503.

10 Rousseau, Contrat Social

Les hommes n’eurent point d’abord d’autres Rois que les Dieux, ni d’autre Gouvernement que le Théocratique. […] De cela seul qu’on mettrait Dieu à la tête de chaque société politique, il s’ensuivit qu’il y eut autant de Dieux que de peuples. […]. Le Dieu d’un peuple n’avait aucun droit sur les autres peuples. Les Dieux des Païens n’étaient point des Dieux jaloux ; ils partageaient entre eux l’empire du monde : Moïse même et le Peuple Hébreu se prêtaient quelquefois à cette idée en parlant du Dieu d’Israël. […] Chaque religion étant donc uniquement attachée aux lois de l’État qui la prescrivait, il n’y avait point d’autre manière de convertir un peuple que de l’asservir, ni d’autres missionnaires que les conquérants ; et l’obligation de changer de culte étant la loi des vaincus, il fallait commencer par vaincre avant d’en parler.

Ce fut dans ces circonstances que Jésus vint établir sur la terre un royaume Spirituel ; ce qui, séparant le système théologique du système politique, fit que l’État cessa d’être un, et causa les divisions intestines qui n’ont jamais cessé d’agiter les peuples chrétiens. Or cette idée nouvelle d’un royaume de l’autre monde n’ayant pu jamais entrer dans la tête des païens, ils regardèrent toujours les Chrétiens comme de vrais rebelles qui, sous une hypocrite soumission, ne cherchaient que le moment de se rendre indépendants et maîtres, et d’usurper adroitement l’autorité qu’ils feignaient de respecter dans leur faiblesse. Telle fut la cause des persécutions. Ce que les païens avaient craint est arrivé ; alors tout a changé de face, les humbles Chrétiens ont changé de langage, et bientôt on a vu ce prétendu royaume de l’autre monde devenir, sous un chef visible, le plus violent despotisme dans celui-ci.

Rousseau, Du Contrat Social (1762), IV, 8, ed. B. Gagnebin et M. Raymond, in Œuvres Complètes III, Paris, Gallimard, Péiade, 1964, p. 460-463.


1
Les textes de l’Ancien Testament sont cités d’après la traduction œcuménique de la Bible réalisée en 1975 par la Société Biblique Française et publiée aux éditions du Cerf ; reprise en 1978 par le Livre de Poche.
2
Tous les textes des Actes et des épîtres de Paul sont cités d’après Le Nouveau Testament, traduction E. Osty et J. Trinquet, Paris, Seuil, 1978.
3
Ps 22:20.
4
Jn 10:16.
5
Lc 22:38.
6
Mt 26:52.
7
Rom 13:1.
8
1 Cor. 2:16.
9
Isaïe 53:4.






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