Du 5 au 26 mai : Culture, éthique, société (École doctorale, univ. François Rabelais, Tours)
Par S. Robert • 31 mar, 2014 • Catégorie: Actualité, Agenda, Colloques •Université François-Rabelais de Tours
Séminaire Écoles Doctorales SHS et SST
Année universitaire 2013 – 2014
Titre : Culture, éthique, société
Responsables : Alfredo GOMEZ-MULLER et Juliette GRANGE (E.A. Interactions Culturelles et Discursives).
Volume horaire : 17h CM
Intervenant(e)s :
Journée 1 : 5 mai 2014
Matin : 10h-12h – Amphi C – site Tanneurs
L’habitus comme naturalisation et corporisation des déterminants sociaux, par Juliette Grange. Université de Tours. Durée : 2h
Après-midi : 14h-16h
Nature et culture dans l’anthropologie contemporaine: d’instrument d’analyse à objet d’enquête, par Cédric Yvinec, Laboratoire d’Anthropologie Sociale, Collège de France. Durée : 2h
Journée 2 : 12 mai 2014
Matin : 10h-12h – Amphi C – site Tanneurs
Humanisme et culture, conférence sur Cassirer par Christian Bener, Université Lille 3. Durée : 2h
Après-midi : 14h30-16h30
Culture républicaine et culture démocratique, par Christian Godin, Université Clermont-Ferrand. Durée : 2h
Journée 3 : 19 mai 2014
Matin : 10h-12h30 – Amphi C – site Tanneurs
La critique nietzschéenne du ‘pays de la culture’ et ses enjeux, par Jean Greisch, Université de Berlin. Durée : 2h30
Après-midi : 14h30-17h
« Culture, éthique et corporéité face au capitalisme global : une critique de l’intelligence émotionnelle », par Matthieu de Nanteuil, Université catholique de Louvain (UCL). Durée : 2h30
Journée 4 : 26 mai 2014
Matin : 10h-12h – Amphi C – Site Tanneurs
Conceptions de la personne et de la culture dans le débat sur le multiculturalisme par Alfredo Gomez-Muller, Université de Tours. Durée : 2h
Après-midi : 14h-16h
Castoriadis : valeurs et culture par Nathalie Frogneux, Université de Louvain. Durée : 2h
Présentation :
La culture a été le plus souvent définie comme un tout composé d’une série plus ou moins longue d’éléments disparates : langue commune, connaissances, idées et croyances, techniques, arts, pratiques et institutions qui organisent les rapports à la matérialité (économie) et à la vie individuelle et sociale (morale, justice, éducation), etc. Dans ces définitions additives et englobantes, le champ de la culture apparaît comme l’équivalent du champ social ; ici, toute production humaine est dite « culturelle » : les modèles de comportement sériels produits par l’industrie de la publicité seraient aussi culturels que les pratiques de (re)création de soi comme singularité : l’être-sujet –au sens de sujétion aux modes de vie de la société de consommation – serait équivalent à l’être-soi-même.
Le terme de culture est, en français, un des plus vague de la langue philosophique. On se demande d’ailleurs s’il faut employer le singulier ou le pluriel. En allemand, l’acception est plus précise : aux notions de Kultur et Zivilisation s’ajoute celui de Bildung (former, façonner, construire). Dans le langage courant, l’adjectif « culturel » est devenu si vague que l’on a pu parler du « tout culturel » dans un sens peu flatteur. Le journalisme intellectuel, et une partie de la philosophie politique, par le terme de multiculturalisme propose la reconnaissance dans le cadre politique moderne de l’existence de groupes, d’ethnies, ou de « communautés » (des Catalans aux homosexuels, des femmes aux Inuits) sans que l’acception de communauté culturelle soit précisée. Seuls peut-être les ethnologues et les historiens emploient sans trop d’équivoque le terme de cultures, quoique les premiers nous indiquent essentiellement qu’elles sont mortes ou en voie de disparition.
On peut donc définir un sens anthropologique qui semble émerger du premier, et que l’ethnologie comme science étudie depuis au mois le dernier tiers du XIXe siècle. La culture est alors la manière dont une population donnée, à un certain moment de son histoire, réalise la culture au sens ontologique. C’est donc un ensemble d’habitudes et de représentations mentales constituées en système et diffusée à tous les membres d’une même population. Les différentes composantes ne font sens qu’à l’intérieur d’une totalité intégrée et se conditionnent réciproquement. Tylor, dans un des premiers textes ethnologiques, Primitive culture (1871), « Le mot culture pris dans son sens ethnographique le plus étendu, désigne ce tout complexe, comprenant les sciences, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et les autres facultés acquises par l’homme dans l’état social ». On fera dans ce séminaire le bilan de cette première définition dans son acception actuelle telle qu’on la trouve en particulier chez Philippe Descola (journée n° 1).
Forgée par l’ethnologie, la notion d’identité culturelle sera étendue à des entités sociologiques : aux diverses classes d’une même société ou aux minorités ethniques ou religieuses des États modernes. Puis par extension à tout groupe subsistant dans le temps, qu’il s’agisse d’une institution, d’une entreprise, voire d’une famille. Chaque collectivité humaine, quel que soit son mode de constitution, est supposée avoir sa « culture propre ». De ces différentes extensions, on discutera à partir des travaux sociologiques récents (la notion d’habitus, après-midi de la première journée).
Il existe un deuxième sens classique, la culture comme processus individuel, comme exercice persévérant et diversifié des facultés de l’esprit, comme contact réitéré avec des œuvres de l’esprit (art, littérature, philosophie, sciences). À cette approche des œuvres, s’ajoute la connaissance nécessaire des langues. La culture est donc l’accès à l’immensité des choses faites et senties par les hommes. Elle a immédiatement un sens moral : l’homme cultivé serait respectueux et curieux des autres hommes. Toute culture particulière (littéraire, musicale, mathématique) constitue en quelque sorte une sagesse spécialisée, médiatrice vers la généralité, voire l’universalité, des hommes et des œuvres. La culture ainsi comprise est une idée, elle personnalise et construit l’individu, elle est donc constitutive d’une identité individuelle. Mais également elle permet de franchir les barrières de l’individualité, d’élargir le moi aux dimensions de l’humanité. Ce sera le thème de la deuxième journée.
La philosophie politique contemporaine, en particulier par la diffusion et la discussion des thèses dites communautaristes, tend essentiellement à proposer de passer d’une perspective normative et universaliste à la reconnaissance politique des cultures et traditions vécues (c’est ce qu’on appelle le multiculturalisme). L’essentiel de la polémique porte, dans une dimension plus morale que politique sur le statut et la définition du sujet humain : tient-il son identité, à l’origine, d’un enracinement dans une culture particulière, ou bien est-il libre, autonome du fait de son lien à la raison et à l’universel ? Les communautariens récusent précisément l’autonomie du sujet, par conséquent également ils nient toute validité aux théories du contrat social (né des volontés individuelles). Il y va aussi du statut même de la modernité : le sujet moderne est-il libre par le fait d’avoir rompu avec les traditions, les mythes, les communautés traditionnelles. La liberté moderne n’est-elle qu’illusion ? La troisième journée sera consacrée à l’examen de la doctrine communautarienne dans la philosophie politique contemporaine (du débat entre « communautariens » et « universalistes » dans la philosophie politique contemporaine).
Par ailleurs, depuis le début du XXe siècle de nombreuses recherches, notamment en anthropologie culturelle (voir les travaux de E. Sapir en 1916), ont mis en lumière le lien étroit existant entre la culture et la formation de la personnalité. De nos jours, la plupart des théoriciens du politique qui défendent l’exigence de justice culturelle, à partir de perspectives diverses (Fraser, Honneth, Taylor, Kymlicka, Parekh, Villoro) soulignent les rapports entre la fonction symbolique de la culture comme instance (re)créatrice de sens et de valeurs, la personnalisation comme constitution de l’identité singulière, et l’éthique comme questionnement et pratique de la vie bonne. La politique ou la vie collective sont alors mise en œuvre de ces valeurs. Cet aspect moral et éthique sera l’objet de la dernière journée.
À partir de la perspective ouverte par ces théoriciens, ce séminaire se propose d’interroger la nature de ce lien privilégié entre culture, sens et valeur. La (re)création de sens et de valeur n’est peut-être pas un élément distinctif de la culture parmi d’autres, mais plutôt le caractère distinctif de la culture, qui fonde l’intelligibilité de tous les autres éléments, matériels et immatériels.
S. Robert est professeur au Lycée Grandmont (Tours)
Email à cet auteur | Tous les Articles par S. Robert